Gestion de crise : l'industrie automobile face au Covid-19
- Marie-Antoinette Mbaye
- 24 oct. 2023
- 8 min de lecture
Introduction
Avec un taux de croissance du PIB estimé à -6 ;8% pour 2020 (contre -3,11 pour l’ensemble du monde) la crise du Covid va imposer à la France une récession économique d’ampleur similaire à celle de la crise des subprimes en 2007. La mise en arrêt de nombreuses activités a lourdement impacté les revenus des entreprises et des ménages. Les agents économiques vont devoir trouver des solutions pour limiter les pertes financières dans les trois années qui suivront l’apparition du virus.
Face à ce constat, les spécialistes cherchent à analyser quels seraient les industries les plus impactées par cette crise. On constate que les entreprises qui sont davantage touchées sont celles dont l’activité a été mise à l’arrêt par la réglementation (ex secteur du tourisme ou de la restauration) ; ou celles dont les produits commercialisés ne sont pas jugés essentiels (ex textile ou cosmétiques). Dans cette catégorie, nous retrouvons l’industrie automobile, qui accuse le coût entre les restrictions de déplacement et la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs. Dans ce contexte, nous pouvons nous demander quelles stratégies les industriels automobiles peuvent utiliser afin de faire face à cette crise ?
Avec une croissance annuelle moyenne de 3% du nombre de véhicules commercialisés en France entre 2017 et 2019, le secteur automobile renouait tout juste avec les performances réalisées avant le déclin des ventes en 2011. Porté principalement par les ventes de véhicules essences, on constate cependant que les ventes de voitures plus écologiques (électrique ou hybride), créent une dynamique positive sur le marché. A la suite du diesel gate de Volkswagen en 2015, les consommateurs ont cherché à renouer avec des véhicules adaptés à leurs valeurs. En délaissant le diesel, c’est tout un pan des équipementiers spécialisés dans ce type de véhicules qui est menacé par les réglementations écologiques et la baisse d’activité. On pourrait facilement supposer que les industriels du diesel seront les plus touchés par la crise du Covid.
Le secteur automobile français est concentré autour de 10 constructeurs qui comptabilisent plus de 80% des propriétaires de véhicules. En tête de classement, on retrouve Renault, qui doit lutter contre son concurrent historique le groupe PSA (avec les marques Peugeot, Citroën et Opel). De par la prédominance de ces grands acteurs, la France représente un marché important. En effet, avec 10 sites d’assemblage et de productions sur le pays, l’hexagone est juste derrière l’Allemagne en matière de production automobile. Nous pouvons donc en déduire, que si le secteur automobile Français est l’un des plus importants en Europe, la chute des industriels aurait un impact négatif sur la santé économique du pays, créant un effet boule de neige dans d’autres secteurs comme l’aéronautique qui est déjà fortement touchée. L’Association des Constructeurs Européens d'automobiles (ACEA) estime que le Covid pourrait menacer 1 138 536 emplois en EU, dont 90 000 en France. Il est important de souligner que le secteur automobile concentre beaucoup de sous-traitants. Ainsi, la chute d’un groupe comme Renault mettrait en péril les acteurs sur l’ensemble de la chaîne, mais plus particulièrement les fournisseurs de deuxièmes et troisièmes rangs.
Nous comprenons qu’au cœur de la problématique du Covid, réside la question de la supply chain. La crise sanitaire a mis en arrêt des sites de productions, ralentie la circulation des marchandises, limité les mouvements des salariés, freiné la vente et la distribution aux clients, et perturbé la transmission d’informations.
Afin de limiter les impacts de la crise, les industriels devraient gérer dans un premier temps la situation de crise, et dans un second temps repenser l’ensemble de leur chaîne. Ainsi, le Covid impose aux entreprises de revoir leur modèle supply chain et sur leur stratégie de développement sur le long terme.
La gestion de la crise du Covid sur le court terme
Comme cité auparavant, l’industrie automobile comporte de nombreux fournisseurs. Ainsi, avec la mise en arrêt des sites de production, les constructeurs font face à des problématiques d’approvisionnement. Une identification et une localisation de l’ensemble des acteurs de la chaîne permettraient d’anticiper le risque d’approvisionnement.
Une voiture est constituée en moyenne de 30 000 pièces. Autant de références présente sur un seul modèle, peut conduire à des difficultés de production sur les pièces non disponibles. Ainsi, les industriels doivent catégoriser l’ensemble des références nécessaires à leur production. Les items dit « bottelneck » ou stratégiques ; doivent être traité avec beaucoup de vigilance en trouvant des produits de substitution ou des procédés différents pour continuer à produire en cas de rupture. Par exemple, utiliser des imprimantes 3D pour des pièces nécessaires mais sans grande valeur ajoutée (ex les pièces de remplacement), permettrait de réduire les stocks, réduire le lead time pour la réception des pièces, et disposer de stock en permanence tout en adaptant le matériau aux besoins de l’usager[1].
Afin de savoir quels sont les risques associés à la gestion des stocks, il est important de savoir quels sont les stocks qui sont portés sur l’ensemble de la chaîne (entrepôts, sites de production, fournisseurs, transite…). Les entreprises doivent pouvoir localiser les stocks, mesurer les écarts, connaître l’état du stock, afin d’en mesurer les coûts de gestion des stocks tout en anticipant les risques d’oversupply ou de shortage.
Un exemple de solution mise en place dans d’autres secteurs peuvent être étudié : comme l’analyse de data pour mesurer les écarts de stock, l’utilisation de IoT pour localiser les produits, ou encore l’utilisation d’imagerie pour photographier le stock disponible dans les entrepôts.
La coopération entre les différents acteurs de la chaîne est aussi à privilégier pendant cette crise ; car elle permet de passer à une supply chain intégrée. En effet, en étant transparent, les acteurs gagneront en réactivité et en agilité. Cela nécessite donc la mise en place d’outils de communication communs et de meeting réguliers comme les S&OP. Ainsi, si l’un des acteurs est en difficulté ou dispose d’informations, les autres parties prenantes pourront anticiper une autre solution.
Le Covid étant une crise sanitaire, il est important de réaliser un audit des risques sanitaires que les employés et les clients peuvent encourir. Après avoir adapté son outil de production aux normes sanitaires, il est nécessaire de réaliser le même audit auprès de ces fournisseurs, pour ne pas craindre la contamination et les scandales sanitaires.
La baisse des revenus et le changement des comportements d’achat ne permettent pas de prévoir les ventes de produits à destinations du grand public. Afin d’anticiper la demande, les industriels doivent s’attacher aux données disponibles sur l’ensemble de la chaîne (distributeurs, fournisseurs etc) ; tout en investissant dans des systèmes de prévision des ventes comme JDA ou Oracle. Se baser sur les prévisions des ventes, permettra d’anticiper la demande et adapter rapidement la production aux évolutions du marché.
Comme évoquée précédemment, la demande pour les véhicules décline : dû à une réduction du pouvoir d’achat. Afin d’inciter à la vente, les concessionnaires doivent mettre en place des stratégies permettant de relancer la consommation. Ainsi, faciliter l’accès aux prêts, augmenter les promotions et autres offres commerciales, ou favoriser le leasing, permettraient de relancer la consommation. Les industriels, doivent aussi adapter leurs produits aux besoins des consommateurs. Par exemple, la possibilité de customiser les véhicules et de l’acheter sur le site du concessionnaire en ligne permettrait de relancer la demande.
Repenser l'ensemble de la chaîne sur le long terme
En observant la localisation des sites de production dans le monde, on remarque des délocalisations de l’Europe vers la Chine. Ainsi, avec seulement de 8% des sites de production en 2003, la Chine s’est hissée à la première place avec 29% des sites de production en 2018. La délocalisation vers les pays asiatiques permet de réduire les coûts de fabrication en bénéficiant de fortes économies d’échelles. Cependant, favoriser un circuit d’approvisionnement long, c’est aussi prendre le risque d’être fragilisé par le contexte géopolitique et économique. Ainsi, avec le ralentissement de la production chinoise, les entreprises seront amenées à réévaluer la localisation des sites des productions. Relocaliser des usines en Europe permettrait d’être plus réactif par rapport aux ruptures et aux crises tout en réduisant les risques. Avec le Covid, les entreprises les plus fragilisées ont été celles dont la majorité des fournisseurs étaient en Asie. Les entreprises doivent donc songer à rapprocher les zones d’approvisionnement afin de limiter les impacts de problématiques internationales. Même si les coûts seront sans doute plus importants, la proximité des unités de production ou des fournisseurs permet d’être plus flexible.
D’un point de vue stratégique, les entreprises ont souvent privilégié la diminution des coûts à la sécurisation des approvisionnements. Mais avec le Covid, les industriels devront repenser leur situation du « make or buy » pour les produits stratégiques ou essentiels à la production des véhicules. Ainsi, en reprenant la main sur les références sensibles, les entreprises peuvent limiter les risques liés à des pénuries.
Après avoir revu la localisation des fournisseurs, les entreprises doivent pouvoir évaluer leur performance en prenant en compte les risques sanitaires, socio-économiques et géopolitique. De plus, la construction d’une relation fournisseur sur le long terme nécessite d’évaluer régulièrement la performance de chacun d’entre eux avec des outils comme le Supplier Scorecard. Des éléments comme la prise en compte du risque, la dimension RSE ou encore l’innovation doivent être aussi important que la qualité, les coûts ou la livraison. Suivre ce type de KPIs permet de réagir vite lorsqu’un fournisseur représente un risque stratégique.
Comme nous l’avons mentionné auparavant, la coopération horizontale et verticale entre les acteurs, permettra de transmettre les informations entre les acteurs et donc gagner en flexibilité. Cependant, cela nécessite une homogénéisation des outils et des systèmes d’information. Par exemple, la mise en place d’un VMI (Vendor Managed Inventory), permet de connaître la disponibilité des stocks chez le fournisseur et le distributeur. Cette forme dérivée de GPA (Gestion Partagée des Approvisionnements), a pour avantage de réduire les stocks en laissant le fournisseur piloter les approvisionnements[2]. La mise en place d’ERP commun comme cet outil, favorise la transmission d’informations tout en assurant la transformation digitale sur l’ensemble des acteurs de la chaîne.
Le Covid a permis de souligner l’importance de la transformation digitale. Le cabinet McKinsey recommande d’augmenter la fréquence d’utilisation des outils digitaux afin d’améliorer leur agilité. Pour illustration, les entreprises peuvent songer à utiliser différentes sources de data pour analyser les besoins clients, réaliser des tests et des simulations de scénarios, identifier les activités qui pourraient générer du profit rapidement, ou redéfinir des process afin d’améliorer les activités sous performantes. Cette transformation nécessite cependant que les industriels investissent dans les bonnes technologies tout en formant le personnel. Pour que le ROI soit satisfaisant, les entreprises doivent donc changer le mode de management en interne.
La dernière recommandation stratégique est liée à l’utilisation de l’intelligence économique pour suivre les tendances du marché. D’après l’agence pour L’Entreprise et l’Innovation l’intelligence stratégique permet aux entreprises de gérer leurs informations[3]. Elle est articulée autour de la veille, la protection et l’influence. La veille peut être technologique ; concurrentielle, économique ou réglementaire. La protection comprend le savoir-faire et les informations. L’influence permet aux structures d’influencer leur environnement afin de le rendre favorable à leur activité. Ainsi, dans le cas d’une crise sanitaire, les entreprises qui monitorent au mieux le marché pourront davantage être flexible.
Conclusion
Nous venons donc de voir qu’avec une réduction de la production automobile estimée à 5.2% et des ventes de véhicules qui vont diminuer de 23% pour 2020, l’industrie automobile doit utiliser sa supply chain comme un élément stratégique afin de limiter les pertes. Nous avons axé nos recommandations sur les éléments suivants :
La centralisation de l’information au même endroit dans un même hub, permet de contrôler les risques et de les partager plus facilement avec les parties prenantes.
L’ajustement des activités de production à la réglementation sanitaire.
Le monitoring de l’ensemble de la chaîne en essayant de limiter les risques d’approvisionnement et de disruption.
Répondre aux demandes client en adaptant l’offre et en analysant les ventes.
Conserver une santé financière en contrôlant les coûts.
Sources
[1] Marketshop.fr, Pièces de remplacement : avantages de l'impression 3D, https://www.makershop.fr/content/115-pieces-remplacement
[2] Pixisoft.comLogistique, Qu’est-ce que le Vendor Managed Inventory (VMI) ? https://www.pixisoft.com/logistique-quest-vendor-managed-inventory-vmi/ [3] Agence pour l’Entreprise et l’Innovation, Intelligence Stratégique, Réseaux Sociaux et Propriété Intellectuelle,
[4] Vidéo Youtube du 28/04/2016 https://www.youtube.com/watch?v=6RDidDzesyk
[5] Euromonitor : construction de reporting d’analyse avec l’outil analytics au 30/05/2020
[6] Statista, Etude : Coronavirus: impact on the automotive industry worldwide, May 2020
[7] Statista, Etude : Automotive retail industry in France; 2019
[8] L’Usine Nouvelle, L’industrie automobile face à la pire crise de son histoire, article du 09/04/2020 https://www.usinenouvelle.com/article/l-industrie-automobile-face-a-la-pire-crise-de-son-histoire.N951646; consultation du 30/05/20
[9] McKinsey&Company, Coronavirus is accelerating digital-strategy formulation, article du 09/05/2020 https://www.mckinsey.com/featured-insights/coronavirus-leading-through-the-crisis/charting-the-path-to-the-next-normal/coronavirus-is-accelerating-digital-strategy-formulation; consultation du 30/05/20
[10] McKinsey&Company ; Coronavirus: Five strategies for industrial and automotive companies; article du 27/03/20 https://www.mckinsey.com/industries/advanced-electronics/our-insights/coronavirus-five-strategies-for-industrial-and-automotive-companies; consultation du 30/05/20

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